«Tu es sûrement chiante et exigeante.»
La soirée démarre joyeusement, donc.
Mon sourire met quelques secondes à disparaître, le temps que mon cerveau accuse réception. J’hésite un instant.
Pas d’esclandre, pas de vagues : c’est l’anniversaire de mon interlocuteur, je suis son invitée - enfin l’invitée d’un autre invité- et donc je range mes petits poings vengeurs.
La phrase lapidaire a été lâchée au détour de la conversation, dans un sourire et sur un ton tranquille, à l’évocation de nos situations maritales, ou plutôt à l’évocation de ma situation non maritale. Il s’étonne. Peut-être est-ce mon attitude un peu crâne qui l’a déconcerté. On ne peut décemment pas se déclarer célibataire à 40 piges sans rougir… Il persiste : qu’est-ce qui cloche chez moi ? Il y a forcément un truc qui ne va pas, juge-t-il.
Je tente sans trop sourciller de lui répondre que je n’ai pas trop réfléchi au sujet en fait, mais que je vais bien, merci.
Je dois avoir des attentes irréalistes, j’en demande trop. C’est certainement ça, voilà.
Trop en demander ? Je ne demande rien en fait. Comment lui assener la vérité, à ce petit inquisiteur ? Le couple, j’ai déjà pratiqué, longtemps et à fond, et là, disons que je fais une pause. A durée indéterminée. Voilà je suis en PDI, et ce soir je n’ai vraiment pas envie qu’on vienne me tanner avec des questions intrusives. J’espère qu’il ne va pas me parler d’horloge biologique en sus, parce que là, anniversaire ou pas, je jure que je ne réponds plus de rien.
Chiante, exigeante. « Soit, peut-être suis-je exigeante », je concède. Mais, est-ce un mal ? Vivre au quotidien avec un mec s’est avéré être un exercice difficile et contraignant pour moi, alors pour me rendre le couple supportable, comment dire….
Aïe. Je vois ses prunelles s’écarquiller. Surtout, éviter la provocation. Ne pas frapper en dessous de la ceinture, lui parler de muscles d’acier ou de centimètres. Je sens que son ego de mec est à deux doigts de me mordre.
« Ce n’est pas tant que je sois exigeante, c’est plutôt que j’ai la flemme», finis-je par lâcher. Et tout à coup je réalise que c’est vrai. J’ai la flemme. La flemme de m’investir dans un couple, de le faire tourner, mais également la flemme de tomber amoureuse et de voir mon esprit accaparé. De me consumer. De me triturer le crâne, de me prendre la tête. Je chéris ma tranquillité d’esprit, en fait.
On parle beaucoup de la charge mentale qui accable les femmes au sein du couple, mais je trouve que ce déséquilibre se retrouve aussi au niveau de l’engagement émotionnel. Oui, il me semble qu’il existe également une charge sentimentale, dont je n’ai vraiment pas envie de m’encombrer.
La facilité avec laquelle nous les femmes mettons le couple au centre de notre vie, parfois au détriment de tout le reste, me déconcerte. Un homme n’affichera pas d’emblée son ambition de se caser, non. Il parlera plus volontiers de ses désirs de voyages ou de ses ambitions professionnelles. Il me semble que débusquer Mrs Right ne fait pas vraiment partie de ses priorités. Alors bien sûr, il existe des hommes qui fantasment aussi sur la future femme de leur vie, qui n‘envisagent pas leur destin sans l’amourlevrailunique, mais je pense que la société dans laquelle nous vivons adresse aux hommes un discours différent de celui qu’elle réserve aux femmes.
Très clairement, ils sont encouragés à poursuivre d’autres desseins qui ne tournent pas autour du couple. Cela leur tombe dessus incidemment, leur souffle-t-on , quand ils auront pu faire la preuve de leur virilité. Ils ne leur restera plus qu’à choisir LA bonne parmi les postulantes, celle à qui ils permettront de lui passer, au choix, un fil à la patte ou la corde au cou. Bon, ça c’est dans l’imaginaire collectif, évidemment, car il existe des hommes, à l’image de celui qui m’apostrophe si directement ce soir, qui rament clairement pour rameuter des candidates et doivent aussi se débrouiller avec les injonctions de la société.
Cependant je vois rarement les mecs se morfondre parce que l’élue de leur cœur a omis de répondre à leur texto. Je ne les vois pas non plus se réunir autour d’un brunch le dimanche matin et faire le debrief de leur vie intime :
« J’ai posé un ultimatum à Nadège. Soit on prend un appart ensemble, soit on ne se voit plus. »
« Tu as pris la bonne décision. Elle abuse. »
« J’en ai marre qu’elle appelle quand ça l’arrange et qu’on ne passe jamais la nuit ensemble. "
«C'est une perverse narcissique, cette meuf! »
Cette scène semble incongrue, peu réaliste mais elle devient pourtant banale quand les protagonistes sont des femmes.
Alors pitié, non. Je ne veux plus être mise dans la posture de celle qui assume toute la charge sentimentale ou émotionnelle, appelez ça comme vous voudrez. Je ne veux plus être celle qui se pâme, qui soupire, qui relance, qui fait la compète avec les autres meufs, et qui se roule par terre à la fin parce son gonze ne s’investit pas assez.
Il m’aura fallu 40 ans pour parvenir à me convaincre de ma valeur, à m’estimer, à m’aimer un tant soit peu.
Ces petites manigances sentimentales, je le sens, pourraient effriter cette confiance durement acquise, ébranler la personne que suis.
Tant pis si je dois me mettre hors-jeu. Diantre. Je refuse de devoir courir après les mecs, et de m’employer à les convaincre que je suis celle qui leur faut. Et pourquoi, eux ne courraient pas après ma personne, plutôt ? Plaît-il? Ils on mieux à faire? Ugh.
Mon interlocuteur attend toujours que je développe. J'ai la flemme? La flemme de quoi?
Je lui adresse un grand sourire en me resservant un verre.
"Tu as raison, lui dis-je. Je suis chiante et exigeante."
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