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  • Photo du rédacteur Claire Brull

L'homme et l'artiste

Dernière mise à jour : 21 mai 2020

«On renie tout de nos jours. On adore, puis on renie. C’est quand même un roman bouleversant, Ivre du Vin Perdu. Tu l’as lu? Non? Matzneff est un grand écrivain, il faut qu’on lui foute la paix. »

Ma collègue est lancée.

«Polanski, c’est pareil… Son dernier film en l’occurrence est magnifique. Tu l’as vu? Non? Quelle idée de remuer des histoires vieilles de 30 ans. Il y a prescription. PRES-CRIP-TION. »

Je proteste. Regarder les films de Polanski, c’est une chose. Le laisser s’épancher à la une des magazines en est une autre. Le nommer aux César… C’est de la provocation.


«Tu ne peux pas prétendre que Polanski n’as pas de talent. Si?»

Non. Je le concède, il a du talent.

Mon ancien conjoint était un fervent admirateur du cinéaste. Nous avions regardé Le Locataire ensemble, au début de notre histoire, quand il me faisait découvrir les films qui l’avaient marqué et avaient scellé son amour du cinéma. Un peu inquiète à l’idée que mon opinion sur le réalisateur puisse venir ternir notre idylle naissante, j’avais tout de même protesté. Je lui avais dit à quel point l'atrocité du viol qu'il était accusé d'avoir commis sur une gamine de 13 ans me soulevait le ventre.

«Mais quand on regarde un film, ce n’est pas à l’homme que l’on pense. C’est à l’artiste. Il faut distinguer l’homme de l’artiste. Point!»

Non. Personnellement il m’est impossible de faire cette distinction, et ce, quel que soit son talent. En ce qui me concerne, c’est le contraire, en fait. Dans Le Locataire, Polanski est magistral. Face à Adjani, il apparait un peu gauche, désarmant, touchant.

Le contraste entre l’apparente inoffensivité du personnage et la façon décomplexée, presque bravache, dont Polanski évoque ses relations sexuelles avec des gamines de 14 ans  lors d'une interview accordée à Elkabbach en 1979 m'est insoutenable. Je n’arrive pas à comprendre. Je ne peux pas me laisser transporter, car je ne vois plus que l’homme. Et la gamine.


Je m’interroge: quelle est cette étrange myopie qui semble affecter les gens et les poussent à soutenir des artistes qui sont aussi des prédateurs sexuels, des violeurs?

Je ne comprends pas comment leurs pires actions peuvent se voiler d’un flou artistique et passer à l’arrière-plan. Le talent aveugle les gens, donc. Il transcende tout le reste, il est au-dessus de la loi. De la justice. De l’éthique. Quel étrange sens des priorités, vraiment.

Je vais vous avouer quelque chose. L’art, je m’en fous un peu. Je ne suis pas une grande cinéphile. Je ne suis pas une grande lectrice. Certes j'apprécie le beau, mais deux heures, c’est le temps maximum que je peux tenir dans un musée. L'art n'est pas pour moi un absolu qui transcenderait l'humain. Ce serait plutôt une cerise sur un gâteau. Je ne peux donc pas comprendre que l'on broie des gosses sur l’autel du talent. Enfin, quel crédit peut-on encore lui accorder, au talent, que vaut-il vraiment, s’il sert à se soustraire à la justice, à ne pas répondre de ses actes, à se faire absoudre? Pire, à recommencer?


Je suis perplexe. Et Polanski… Y avait-t-il donc une impérieuse nécessité à nommer aux César un homme sur lequel pèsent autant d'accusations de viol? Ne peut-on pas se choisir d’autres idoles ? Célébrer des artistes qui n’exigent pas de nous une telle compromission?

On va sans doute m’accuser de pousser le relativisme à l’extrême mais nous sommes désormais plus de  7 milliards sur terre, et je ne peux croire que parmi tout ce monde, il n’existe pas de génies à découvrir, de prodiges qui attendent leur heure. Si Polanski ne s'était pas soustrait à la justice américaine et que ses films n’avaient pas vu le jour, le monde s’en serait remis. D’autres auraient pris sa place et auraient créé d’autres œuvres. Ils auraient subjugué les foules, ils auraient été acclamés sans que l’on s’émeuve d’une quelconque place laissée vacante dans le paysage du cinéma. Personne n’est irremplaçable en ce bas monde. Fut-ce un génie.


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