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  • Photo du rédacteur Claire Brull

Et mon Q.I... Tu l'aimes mon Q.I?

Dernière mise à jour : 11 déc. 2020

SAPIOSEXUEL.LE : néologisme apparu au XXI e siècle et popularisé par les applications de rencontre.

Du latin sapiens (« intelligent ») et de sexuel : fait d’être sexuellement attiré.e par des personnes intelligentes ou instruites. 

Les feuilles mornes jonchent les pavés de ma cour. Je les vois d’en haut, de ma fenêtre, dérisoires petites défuntes, certifiant que l’automne est là, installé, bien à l’aise, et qu’il a ramené quelques potes avec lui : d’abord, les chiffres macabres des victimes qui ont redémarré en douceur à la fin des beaux jours, pour enfler exponentiellement à mesure que le temps grisonnait. Puis le couvre-feu, qui a sonné à la porte, s'invitant, bonhomme, à notre table, entamant notre gaillardise, laborieusement reconquise pendant les mois d’été. Et finalement, tel un convive de marque dont on anticipait fébrilement la venue, le reconfinement a fait une entrée retentissante dans nos vies, signant impitoyablement notre retour à la case départ. Putain de case départ. Misérable petite case, depuis laquelle je regarde les feuilles mortes tomber sur les pavés de ma cour.


Bref, je me suis remise à rôder sur les applications de rencontre. La solitude est exquise quand elle est choisie. Imposée, elle perd ses attraits. Peut-être trouverais-je dans les méandres de mon smartphone d’autres âmes esseulées. Tinder again, donc.


L’habituelle litanie des profils défile sur mon téléphone. « Litanie »… Non, ce mot est mal choisi : il faut plutôt parler de farandole hétéroclite où les minois sympas côtoient les photos floues et mal cadrées, où les selfies moisis tentent de concurrencer les photos de pros. Je swipe à gauche, je swipe à droite. J’oublie les feuilles mortes.

Homme en auto, homme en moto ou sur un bateau. Regard de braise, torse nu dans des draps savamment froissés (trop peu de photos de ce genre à mon goût). Regard vaguement paniqué de lapin pris dans les phares (trop de photos de ce genre à mon goût). Photos second degré, photos premier degré, photomatons, photomontages, photos photoshopées.


Au bout de quelques minutes de swiping intensif, je ralentis le rythme. Je scrute davantage les profils et lis les petites capsules descriptives qui ornent les profils des Tindermen et résument leurs passions, leurs attentes : « Netflix », « vin », « balades », « sushis », « rencontres sans pression ».

Parfois ces messieurs se fendent d’une description et un adjectif - "sapiosexuel"- capte mon attention, tant il revient régulièrement. Serait-ce le nouveau mot à la mode dans le monde de la drague?


«Je suis un sapiosexuel convaincu. Alors si tu as eu besoin de Google pour comprendre ce que ce mot veut dire, merci de ne pas chercher à me contacter. » Bien, bien, voilà qui est dit.

Ravissante écervelée, passe ton chemin : on veut du gros Q.I., des cerveaux qui carburent, une orthographe au top, de la CON-VER-SA-TION.


Alors, je t’entends déjà m’interpeller, lectrice hypothétique : « pourquoi es-tu dubitative? » Pourquoi, en effet, ne pas me réjouir de ce que les hommes valorisent l’intellect, de ce qu’ils se mettent en quête de femmes cérébrales ?

Et bien... c’est ce mot à la con qui me gêne. « Sapiosexuel ». Il siffle trop pour être honnête. Il sonne sournoisement et je le pressens miné.


En premier lieu, je trouve qu’il faut avoir une haute estime de sa propre intelligence pour exiger de l’autre qu'elle soit brillante. Se revendiquer « sapio » revient à claironner sa propre finesse intellectuelle et doit plutôt alerter, il me semble, sur l’ego du prospect. Et puis, je ne me fais pas d’illusion. Attester son intelligence ne signifie pas qu’on pourra se lâcher sur le reste pour choper. Il me semble qu’on rajoute, mine de rien, un énième critère au cahier des charges qu’il nous faut respecter. Voilà, qu’en plus d’être jolie, mince, stylée, sexy, branchée, épilée et maquillée pour faire l’affaire, il convient d’en avoir dans la caboche.

Mais je ne suis pas convaincue que les neurones soient en passe de détrôner les gracieux minois dans cette époque où l’apparence règne en maître.


En vérité je vous le dis, je ne crois pas que les hommes estiment tant l’intelligence, et j’ai l’impression que bon nombre de « sapiosexuels » sont en fait des hypocrites.

Alors, bien sûr, il faut du répondant pour se promener sur les applications de rencontre. Tinder, c’est le marché à la punchline, et une certaine vivacité d’esprit est la bienvenue si on veut s’évader du script mécanique des mêmes questions cent fois posées, auxquelles on n’en peut plus de répondre.

Bien sûr, il faut pouvoir nourrir la conversation, rire aux plaisanteries, comprendre les bons mots, et même, débattre du bout de nos douces lèvres.


Mais point de zèle. Il faut savoir quand s’arrêter. Veiller à ce que la discussion point trop ne s’anime, éviter à tout prix qu’elle ne s’envenime. La soirée se passe bien, le dîner est exquis, et vous vous enivrez gentiment d’un petit vin de récoltant avec votre rencard, quand il vous sort subitement une grossière contre-vérité ? Bouclez-là. Voici qu’il se met à débiter des énormités ? C’est un piège. Il vous déclare sans ciller qu’il a beaucoup d’admiration pour Finkielkraut ? Restez stoïque et finissez la bouteille.



Vous que d’ordinaire le débat anime, que les discussions enflamment, soyez prudentes. Vous imaginez peut-être que l’objet de votre convoitise sera charmé de passer la soirée avec une femme qui peut lui opposer des arguments solides, pointer les failles de ses arguments, étayer brillamment un point de vue qui s’avère être diamétralement opposé du sien. C’est vrai que c’est ce qu’on nous vend, ces temps-ci. Les hommes sont prêts à partager le pouvoir, ils sont féministes et toujours plus nombreux à appeler de leurs voeux l'égalité.

L'homme moderne peut souffrir la contradiction et ne pas se sentir menacé dans sa virilité parce que sa femme est aussi intelligente que lui. Voire le surpasse intellectuellement. Ou gagne trois fois son salaire. Non?


En 2020, pourtant, les femmes diplômées sont davantage célibataires que les femmes qui ont un niveau d'études moindre, et que les hommes qui ont un niveau d’étude équivalent. J'entends souvent que ces femmes sont devenues plus exigeantes quant au choix de leur conjoint. Peut-être. Possible. (Tant mieux).

Autre explication: ces femmes surdiplômées font chanceler les hommes sur leur piédestal. Pouvoir d'achat, statut social et langue potentiellement langue bien pendue sont autant de menaces qui pèsent sur les privilèges du sexe fort.


Trouves-tu, hypothétique lectrice, que j’exagère ? « Not all men », me dis-tu.

Certes,« not all men ». But quite a lot of them, I think.

« Et toi, d’ailleurs, poursuis-tu. Es-tu sapiosexuelle ? »


J’avoue que je ne sais pas trop. Certes, j’aime les esprits fins et subtils, les gens cultivés, l’humour ravageur, mais je vais te faire une confession terrible : je suis irrésistiblement attirée les minets, la coquetterie masculine m'affole. Pire: les hommes qui vont transpirer à la salle pour muscler leur petit corps remportent mes suffrages.

Serait-ce là une contradiction de ma part? Peut-être. Peut-être pas: personnellement, je montre beaucoup de bonne volonté à faire la meuf. Je me maquille, j’érotise mon corps. Je veille à rester mince et je dépense des petites fortunes en lingerie fine. J'aimerais que dans l'autre équipe, ils en fassent autant pour m'allumer. J’en ai soupé de tous ces types qui confondent statut social, niveau d’études et sex-appeal, et qui s’imaginent que pour faire grimper la température dans mon salon, le caleçon qui baille et les abdos défaillants feront l'affaire. L’esprit c'est sexy, mais les bimboys aussi.




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